• Envie de n'importe quoi

       
        Un matin je m'étais levé maussade, triste, fatigué d'oisiveté, et poussé, me semblait-il, à faire quelque chose de grand, une action d'éclat ; et j'ouvris la fenêtre, hélas !

        (Observez, je vous prie, que l'esprit de mystification qui, chez quelques personnes, n'est pas le résultat d'un travail ou d'une combinaison, mais d'une inspiration fortuite, participe beaucoup, ne fût-ce que par l'ardeur du désir, de cette humeur, hystérique selon les médecins, satanique selon ceux qui pensent un peu mieux que les médecins, qui nous pousse sans résistance vers une foule d'actions dangereuses ou inconvenantes).

        La première personne que j'aperçus dans la rue, ce fut un vitrier dont le cri perçant, discordant, monta jusqu'à moi à travers la lourde et sale atmosphère parisienne. Il me serait d'ailleurs impossible de dire pourquoi je fus pris à l'égard de ce pauvre homme d'une haine aussi soudaine que despotique.

        « - Hé ! Hé ! » et je lui criai de monter. Cependant je réfléchissais, non sans quelque gaieté, que, la chambre étant au sixième étage et l'escalier fort étroit, l'homme devait éprouver quelque peine à opérer son ascension et accrocher en maint endroit les angles de sa fragile marchandise.

        Enfin il parut : j'examinai curieusement toutes ses vitres, et je lui dis : « - Comment ? Vous n'avez pas de verres de couleur ? Des verres roses, rouges, bleus, des vitres magiques, des vitres de paradis ? Impudent que vous êtes ! Vous osez vous promener dans des quartiers pauvres, et vous n'avez pas même de vitres qui fassent voir la vie en beau ! » Et je le poussai vivement dans l'escalier, où il trébucha en grognant.

        Je m'approchai du balcon et je me saisis d'un petit pot de fleurs, et quand l'homme reparut au débouché de la porte, je laissai tomber perpendiculairement mon engin de guerre sur le rebord postérieur de ses crochets ; et le choc le renversant, il acheva de briser sous son dos toute sa pauvre fortune ambulatoire qui rendit le bruit éclatant d'un palais de cristal crevé par la foudre.

        Et, ivre de ma folie, je lui criai furieusement : « La vie en beau ! la vie en beau ! »

        Ces plaisanteries nerveuses ne sont pas sans péril, et on peut souvent les payer cher. Mais qu'importe l'éternité de la damnation à qui a trouvé dans une seconde l'infini de la jouissance ? 
                                                                                                                                                                             Baudelaire, Le Spleen de Paris
     

    J'ai cherché mais j'ai pas trouvé de virtrier, de remouleur, ni même un plombier à pousser dans mon ascenceur. Tant pis...


  • Commentaires

    1
    Lundi 9 Octobre 2006 à 21:19
    Un peu débordée
    ces temps-ci... Mais on a toujours le temps de lire un peu entre deux dévotions au dieu de la productivité. Bisosu littéraires
    2
    Lundi 9 Octobre 2006 à 22:10
    joli duo !
    Associer Charles Baudelaire et Mano Negra, c'était risqué ! mais j'adore le résultat (j'ai lu le texte en écoutant la musique, ça rend bien!). Bises.
    3
    Lundi 9 Octobre 2006 à 22:20
    Un pari risqué?
    Peut-être... Je n'y avais même pas pensé. Les méandres des résonances sont parfois surprenants. Heureuse que cela t'ai plu. Bisosu
    4
    Lundi 9 Octobre 2006 à 23:02
    Bonsoir, Shoupi !
    Merci pour ton mot. Je ne vais pas réussir à former un commentaire qui ait un sens donc je vais me contenter de dire que . Bonne soirée, bisou.
    5
    Mardi 10 Octobre 2006 à 15:12
    Et moi qui
    croyais que c'était dans "Les petits poèmes en prose". Bon, je vais réviser. Merci de ce rappel. Céleste a raison : musique et texte vont de paire. Bizzz vitrières, JB
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    6
    Mardi 10 Octobre 2006 à 23:18
    et bien
    me voilà scotcher, j'ai encore beaucoup de choses à découvrir!!! (des lacunes aussi....)sur le coup j'ai cru que tu parlais de toi!!!! lol !!!je n'aurais jamais pensé à Baudelaire...merci shoupi
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